Aux sources
Les sources dont nous disposons pour évoquer la vie des empereurs romains sont lacunaires et partiales ; écrites longtemps après, par des auteurs soucieux d'évoquer leur époque. L'Histoire romaine de Dion Cassius a été écrite au temps des Sévères, une génération après. Habituelle source, elle ne peut être utilisée pour Marc Aurèle dans la mesure où les pages ont été perdues ; il existe cependant un abrégé écrit par un moine byzantin Xiphilin à la fin du XIième siècle. L'Histoire d'Auguste consacre des biographies aux Empereurs dont Marc Aurèle. En outre, il existe un nombre important de documents personnels : lettres, correspondance avec Fronton. Nous disposons également des Pensées dont l'Empereur est l'auteur ; un ensemble de réflexions sur la manière de gouverner et de se comporter que Marcus n'imaginait pas proposer au grand public. Dans ce travail, il se montre très influencé par la philosophie stoïcienne. C'est pourquoi le livre de Pierre Grimal donne une place considérable aux idées de l'Empereur, parfois au détriment des événements. Au plan graphique, les historiens ont retrouvé onze reliefs dont huit proviennent d'un arc. La statue équestre du Capitole est la représentation le plus connue. Les pièces de monnaie transmettent les mots d'ordre de la politique et l'idéologie du moment. Minerve est souvent représentée aux côtés de l'Empereur : elle symbolise la sagesse.
Aux origines
Dans le récent et populaire film de Ridley Scott Gladiator, Marc Aurèle a l'image d'un Empereur philosophe, las des guerres. Dans la tourmente des événements, Marc-Aurèle incite en effet à conserver calme et sérénité.
Le règne de Marc Aurèle a été marqué cependant par de nombreux conflits aux frontières de l'Empire et par un calme relatif à l'intérieur, perturbé cependant par des incidents comme cette violente persécution contre les Chrétiens à Lyon en 176.
Né le 26 avril 121, 5 jours après la fête anniversaire de la naissance de Rome, Marcus descendait par sa mère de l'orateur Domitius Afer, venu de Nîmes sous Tibère et qui avait conquis sa popularité et sa fortune sous Tibère.
Parmi les personnes qui l'ont entouré enfant, Marc Aurèle est reconnaissant à son arrière grand-père de lui avoir donné l'opportunité de suivre les leçons domestiques des meilleurs maîtres. Il vécut dans les jardins du Caelius, colline de Rome, près de sa mère Domitia Lucilla la Jeune dont il dit le plus grand bien (elle lui donna le goût d'une vie simple ; le sens de la piété et du bien). Il fut adopté en 138 par Antonin.
Hadrien l'éleva au rang de Salien pour plaire à son arrière grand-père Catilius Severus, préfet de la ville, Hadrien adopta Titus Aurelius Fulvus Boionius Arrius Antoninus à la condition qu'il adopta à son tour Lucius Ceionius Commodus et Marcus Antoninus, futur Marc Aurèle. Il est néanmoins un peu simpliste de dire qu'il fut "élevé sur les genoux d'Hadrien", Marcus vint habiter sur le Palatin auprès d'Hadrien et fut marié à Faustine, fille d'Antonin.
Son éducation fut réalisée par de grands précepteurs : Euphorion, Geminus, Andron pour la musique et la géométrie, Alexandre de Cotyaeum, grammairien grec, disciple d'Aelius Aristide, Herode Atticus, rhéteur grec
Marcus se délectait alors de littérature grecque et latine ( Ennius, Plate, Naevius ou les discours de Caton). Il composait également des vers. Le Grec était alors pour lui une langue parlée. C'est en grec qu'il lisait Epictète et Ariston ; c'est encore en grec qu'il écrivait à sa mère mais c'est en latin qu'il gouvernait. Fronton, cet Africain descendant d'Italiens originaires de Constantine, lui enseignait la langue des Athéniens.
La philosophie de Marc Aurèle a été inspirée des théories d'Ariston, lequel se situait dans la droite ligne de Socrate pour qui personne n'est volontairement méchant.
Marcus aimait chasser comme en témoigne les représentations de l'Empereur sur un cheval.
Marcus suivit sans encombre le cursus honorum ; il fut préfet en Égypte, en 160 et 161 puis consul. Il ne reçut cependant la puissance tribunitienne qu'en 147. Marcus chercha à imiter son père adoptif Antonin : disponibilité, sociabilité, simplicité, fidélité aux amitiés de ses conseillers mais refus de la pédophilie acceptée par Hadrien.
Aux frontières
Contrairement à lui, il dut cependant beaucoup voyager afin de rétablir la paix aux frontières (Dacie, Judée, Grèce, Égypte, pays des Alains) alors qu'Antonin était resté disponible, laissant ses légats solutionner les problèmes à sa place. Hadrien avait lui renforcé les frontières, édifié le limes en Écosse, laissé sur place trois légions et plus de 60 ailes de cavalerie et fortifié la région la plus vulnérable entre Rhin et Danube.
De son temps, des troubles eurent lieu en Judée, entre 132 et 135. Les Juifs haïssaient alors ceux qui avaient détruit le temple de Jérusalem, sous Vespasien. Hadrien se chargea de réduire la révolte et de mettre fin au judaïsme. Comme les problèmes continuaient, Antonin rétablit la tolérance religieuse.
Une autre rébellion survint en Mauritanie, en 145. Les frontières sud de cette partie africaine de l'Empire étaient incertaines, peuplées de tribus nomades qui ne pouvaient accepter la romanisation en raison de son lien avec la sédentarisation.
Il fallut ensuite pacifier la partie orientale de l'Empire contre les assauts des Parthes. Les Empereurs rêvaient encore à la prédiction d'Anchise faite à Énée au sixième chant de l'Énéide : "vaincre les orgueilleux" était le destin de Rome, constituer un imperium sine fine. Ce genre de dessein est lisible dans les Pensées au travers des mots suivants : "Ma cité, ma patrie, à moi, comme Antonin, c'est Rome, comme être humain, c'est l'univers." L'éloge d'Alexandre est récurrente et les Romains sont d'une certaine manière une forme triomphante de l'hellénisme. Symboliquement, pour rappeler le primat du politique sur le militaire, Hadrien imposa le port de la toge en public aux chevaliers et aux sénateurs et romanisa la cour en remplaçant les affranchis grecs par des chevaliers.
Une monarchie fondée sur des valeurs et la défense de l'Empire
Antonin mourut le 7 mars 161 à l'âge de 76 ans. Il eut trois jours pour assurer sa succession en faveur de Marcus et de Lucius Aelius Verus, fils de L. Ceionius Commodus, adopté par Hadrien. Le choix de Marcus n'était pas évident considérant son attitude parfois méprisante comme en témoigne son aversion pour les jeux pendant lesquels il lisait ostensiblement. Lucius était au contraire séduisant mais n'avait pas autant d'esprit. Lucius eut, d'après ses biographes, une vie dissolue après 161, où se rencontrent adultère et pédérastie Il avait comme livre de chevet les oeuvres d'Ovide, se vêtait avec élégance et composait de médiocres vers. Il fut fiancé par Marc Aurèle à sa propre fille Anna Lucilla, âgée alors de 13 années.
Les premières guerres les menèrent en Orient où le roi des Parthes avait envahit l'Arménie et décimé une armée romaine qui s'était interposée. M. Statius Priscus fut chargé d'intervenir. Rome était alors en proie à une crue du Tibre et à une famine. Lucius en Orient se heurta à Annius Libo, nommé par Marc Aurèle à la tête de la Syrie ; il décida de l'empoisonner. Lucius eut une liaison avec une femme de Smyrne Panthéa. Cela décida Marc Aurèle à envoyer sa soeur Lucilla pour sceller plus rapidement que prévu leur union. Fronton cite trois grandes victoires durant cette campagne : Dausara, Nicéphorium et Artaxata (163). De retour à Rome, Lucius partagea le triomphe avec Marcus.
Une seconde secousse survint sur la frontière du Danube : à la fin de 166 ou 167, une horde de Barbares composée de 6 000 Langobards et Ubiens franchit le Danube. Ils furent vaincus par un certain Vindex. A ce moment, une épidémie ravagea Rome (167) ; ce fut aussi une année de persécutions contre les Chrétiens pendant laquelle périt Justin.
En 168, Marc Aurèle et Lucius se rendirent dans le Nord dans le but d'essayer par le voie diplomatique d'empêcher de nouvelles incursions. Avec Victorinus, ils durent cependant utiliser l'armée. C'est au retour de cette expédition que Lucius tomba malade et succomba près d'Altinum, dans l'actuelle Vénitie. Les cendre furent déposées dans le château Saint-Ange, mausolée d'Hadrien. Marcus Maria Lucilla fut remarié à Claudius Pompeianus, un homme âgé. Des rumeurs commencèrent à circuler accusant Marcus d'avoir fait tuer Lucius.
Marc Aurèle passa l'été 169 à Rome dans sa villa de Praenestre (Palestrina). il perdit un de ces fils, atteint d'une tumeur. Il fit élever une statue de son enfant de 7 ans qui était produite lors des processions au grand Cirque. Les effets de la peste continuait et il fallut enrôler des esclaves dans les armées. Des trésors impériaux furent vendus.
L'offensive en Orient reprit au printemps 170, L'Empereur jeta deux lions dans le Danube, deux victimes expiatoires. Les Barbares attaquaient de tous les côtés : avancées jusqu'en Italie, attaques des Dacies et de la Grèce. Marcus établit ses frontières à Carnuntum, sur la frontière. Au début de l'hiver 171-172, la situation était rétablie. L'Empereur put revenir à Rome à l'occasion de ses dix années de règne (decennalia). Il fallait aussi mater une invasion Maure survenue dans le sud de l'Espagne. L'Empereur prit le surnom triomphal de Germanicus.
Il fallut ensuite solutionner le problème posé par les Boucoloi qui s'étaient révoltés contre Rome dans leurs marécages à l'ouest des bouches du Nil.
Au cours de l'été 173 se produisit le miracle de la pluie quand l'armée romaine encerclée par les Quades, assoiffée, fut sauvée par un orage : tous les soldats tendirent leurs casques vers le ciel, se découvrant dangereusement. Ils furent sauvés par la foudre.
Contre les Sarmates, un autre épisode relate la traversée du Danube gelé lorsque les Romains faisaient corps contre leurs adversaires, immobiles, en carré. Les légionnaires avaient mis leurs boucliers à terre pour se protéger et avoir un appui. Les chevaux des Barbares glissèrent lors de la charge.
D'après les sources, Marc Aurèle souffrait à cette époque de froid et de fatigue, il se nourrissait peu.
La rébellion d'Avidius Cassius
D'après Dion Cassius, Faustine qui se trouvait alors à Sirmium avec son mari poussa Avidius Cassius à prendre le pouvoir ; elle espérait devenir son épouse après la mort de Marc Aurèle. Avidius Cassius, faussement informé de la mort de Marcus, se déclara Empereur et ne put reculer en apprenant la vérité. Il était en partie soutenu par des légions campant en Orient, en Égypte par exemple où il avait mâté la révolte des Boucoloi.
Le premier geste de Marcus consista à donner la toge virile à Commode. La cérémonie eut lieu à Sirmium. Le but était d'affirmer sa succession. Cette cérémonie se déroula le jour anniversaire de la disparition de Romulus aux yeux des hommes, lorsqu'il devint un dieu. Des monnaies furent frappées au nom de Commodus Caesar Augusti Filius Germanicus, auquel s'ajoutait le titre de princeps iuuentutis. Commode fut en outre Consul en 177, dans sa 17eme année. Il fut marié à une fille de famille consulaire : Bruttia Crispina.
Au moment d'achever les préparatifs de départ de son armée vers l'Orient, Marcus apprit la mort de Cassius, blessé par un centurion et achevé par un décurion.
Il encouragea à la clémence des complices.
Faustine mourut en Cicilie, dans la petite ville d'Halala à l'automne 175 ; elle avait 46 ans et avait donné 12 enfants à son époux. Le village où Faustine mourut prit le nom de Faustinopolis.
Marcus reprend la route
Marc Aurèle se rendit en Égypte où il passa l'hiver 175-176. Il se dirigea ensuite vers la Syrie. Il fit étape à Tarse pour y entendre le jeune Hermogène, âgé de 15 ans, virtuose de la parole. A Smyrne, il reçut Aelius Aristide, considéré comme un bienfaiteur : une statue de bronze lui avait été élevée dans la cité. Il fut ensuite initié aux mystères d'Éleusis durant l'été 176.
A l'automne 176, Marc Aurèle revint à Rome. Commode fut alors de plus en plus étroitement associé au pouvoir. Lors du triomphe, Marc Aurèle resta hors du char.
L'Empire était alors de nouveau pacifié même si certaines régions étaient encore parcourues par les brigands. Dès 178 cependant, il fallut reprendre la guerre sur le Danube. Marc Aurèle et Commode (tout juste marié) s'y rendirent. La frontière était fortifiée et les tribus germaines dont les Quades et les Marcomans étaient appelés à rejoindre l'Empire tandis que les soldats se chargeaient de rendre impossible la vie des habitants des contrées barbares. Au début de mars 180, Marc Aurèle tomba malade. Cette maladie étaient vraisemblablement la peste si le récit de l'Histoire Auguste est juste. Commode s'éloigna alors de son père pour éviter de tomber lui aussi malade. Des légendes survinrent après la mort de Marc Aurèle, du temps de Commode : Marcus aurait souhaité la mort de son fils en qui il entrevoyait un futur tyran ; d'autres prétendirent que des médecins à la solde de Commode avait hâté la mort. Marcus mourut le 17 mars 180.
Bilan politique
Marc Aurèle avait commencé à travailler bien avant d'être Empereur. On lui doit pendant son règne : un rôle important accordé au Sénat, la modération de la fiscalité, l'assistance aux plus pauvres, les règles établies pour la distribution aux pauvres (annone), la liberté donnée aux simples citoyens.
Il essaya de freiner les dépenses pour les spectacles. Les tarifs pour les gladiateurs furent revus.
Le pouvoir se décentralisa de nouveau dans le but de rapprocher les administrés du centre, de raccourcir les délais de justice, d'alléger la bureaucratie.
L'état civil devint obligatoire. Des règles nouvelles en faveur des familles furent mises en place : attribution de tuteurs ; un préteur spécial fut créé avec le titre de praetor tutelaris pour s'occuper justement des tutelles. Les enfants de naissance servile ne profitèrent pas de cet avantage.
La mise à mort de tous les esclaves d'une domus où le maître a été assassiné devint plus rare ; les mariages entre esclaves étaient durables. Si un patron refusait d'affranchir un esclave qui possédait la somme nécessaire, celui-ci pouvait déposer un recours. Les esclaves qui commettaient un délit ne pouvaient pendant la durée de la punition être affranchis. Un maître ne pouvait plus livrer son esclave aux lions. Les maîtres se devaient de garder leurs esclaves malades sous peine de perdre la propriété.
Le droit à hériter de la mère fut reconnu.
Les bains mixtes furent interdits dans les thermes.
Les Barbares s'ils acceptaient le port de la toge et se conduisaient donc en citoyen romain pouvaient alors profiter du droit romain et donc du droit de léguer leurs biens à des héritiers.
Vie privée
Il fut très proche de sa mère avec laquelle il partagea ses vacances à Centumcellae et Lorium. Chaque lettre de Fronton se terminait par un hommage à la mère de Marcus. Lucilla mourut en 155 ou 156 après une maladie.
Il fut donc un solitaire mais aussi un esthète. Il profita de ses insomnies survenues tôt dans sa vie pour travailler tard et lire allongé sur son lit.
Avec Faustine, il eut treize enfants dont 7 garçons. Le premier vint tard peut être du fait de la mauvaise santé de Faustine. Au moment du début du règne en 161, il ne restait plus que 8 survivants dans sa descendance dont seulement 3 garçons.
Il donna ses filles à des sénateurs.
La légende prétendait que Faustine eut une conduite légère ; elle fut amoureuse par exemple d'un gladiateur. D'après la légende, ayant consulté un devin, Marcus se vit proposer de tuer le gladiateur et d'obliger Faustine à se baigner dans son sang.
Marcus refusa de se marier après la mort de Faustine ; il eut une concubine.
Marc Aurèle est aussi l'auteur d'un livre qui a fortement contribué à faire de lui un penseur. Or Les Pensées sont une suite de réflexions surgies chaque jour. Le lecteur y retrouve le goût de Marcus pour le stoïcisme et Socrate. Marcus y invite à suivre la Nature laquelle admet les inégalités et un berger pour conduire le troupeau.
Et Dieu
Marcus est persuadé que les dieux existent et qu'ils exercent une action sur le monde. Comme l'ensemble des Romains, il pratiquait le culte domestique. Dans le laraire figuraient en effet des divinités choisies par les membres de la famille. Il fut après 161 Grand Pontife et participa à ce titre à la vie religieuse de la cité et de l'Empire : gestion des cultes nouveaux et anciens dont celui des Empereurs et à Faustine. En outre, Marcus croyait aux songes. Il fut curieux des autres religions existantes mais ne comprenait pas les motivations des Chrétiens. Au sujet des persécutions contre les Chrétiens, il semblerait que sans les désapprouver, Marcus n'ait pas toujours été à l'origine des supplices. Dans le cas de Justin, il laissa faire son ami Rusticus, préfet de la ville. En revanche, dans le cas des sanglants massacres qui eurent lieu à Lyon en 177, Marcus ne demanda que d'épargner ceux qui reniaient leur foi.
Il n'accepta pas toutes les accusations formulées contre les Chrétiens. Certains évoquent l'idée selon laquelle Marcus aurait encouragé une trêve avec les Chrétiens contre leur participation plus active à la vie de la Cité.
Les thaumaturges, les prédicateurs et les faux prophètes furent traqués.
Conclusion
Présenter Marcus comme le dernier Empereur d'une Rome heureuse est un peu présomptueux lorsqu'on sait que la peste a ravagé l'Empire.
Marc Aurèle chercha néanmoins à empêcher l'Empire de devenir une tyrannie. Il respecta le Sénat et ses interlocuteurs.
Il essaya de vivre en accord avec sa philosophie, inspirée des stoïciens.
D'APRES PIERRE GRIMAL, MARC AURÈLE, FAYARD